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Un avion militaire chinois dans le ciel japonais : deux minutes aux lourdes conséquences ?

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Internationale
Un avion militaire chinois dans le ciel japonais : deux minutes aux lourdes conséquences ?

La première incursion d’un avion militaire chinois dans l’espace aérien japonais, lundi, n’a peut-être duré que deux minutes, mais l’appareil impliqué était un avion de reconnaissance très perfectionné. Et l’incident intervient dans un contexte de plus en plus tendu. 

Ce sont deux minutes sans précédent dans l’histoire récente des relations sino-japonaises. Entre 11 h 29 et 11 h 31 (heure locale), lundi 26 août, un avion militaire chinois a pénétré l’espace aérien japonais, au-dessus de l’archipel de Danjo, un petit îlot tout au sud du Japon, ont affirmé les autorités à Tokyo.

Cette incursion inédite représente “non seulement une violation sérieuse de notre souveraineté, mais aussi une menace pour notre sécurité, ce que nous considérons totalement inacceptable”, a réagi mardi Yoshimasa Hayashi, secrétaire général du cabinet du Premier ministre et porte-parole du gouvernement. Face à cette incursion, le Japon a riposté en déployant des avions de chasse, arrivés sur place peu après que l’appareil chinois a quitté l’espace aérien japonais.

"Événement notable"

Le gouvernement chinois s’est officiellement défendu de toute velléité belliciste et a suggéré qu’il pourrait s’agir d’une erreur de pilotage. Les autorités ont ainsi assuré, mardi, être encore en train de “vérifier” ce qui s’était passé au-dessus de l’archipel de Danjo, a affirmé le ministère des Affaires étrangères.

Mais pour Tokyo, il n’y a guère de doute sur le caractère intentionnel de cette incursion. Le chargé d’affaires de l’ambassade chinoise au Japon a d’ailleurs été convoqué au ministère des Affaires étrangères pour y recevoir une “protestation officielle déterminée”.

La violation de l’espace aérien par un avion militaire “est un événement tout à fait notable”, assure Lewis Eves, spécialiste des questions de sécurité en Chine et des relations sino-japonaises à l’université de Sheffield.

Sur l’échelle des provocations, c’est un cran au-dessus des deux précédents incidents, lorsqu’en 2012, un avion à hélice avait franchi l’espace aérien japonais, puis en 2017 quand un drone chinois y était entré. Dans les deux cas, il s’agissait d’engins civils et non pas militaires.

Surtout, en 2012 comme en 2017, ces incidents s’étaient produits au-dessus des îles Senkaku, un territoire proche de Taïwan contrôlé par le Japon, mais revendiqué par la Chine. Les autorités chinoises pouvaient ainsi affirmer qu’à leurs yeux, ils n’avaient fait que survoler un archipel contesté.

Rien de tel avec la dernière incursion. Personne ne conteste la souveraineté japonaise sur l’archipel de Danjo, qui se trouve dans la préfecture de Nagasaki.

L’aéronef qui a fait un rapide détour par l’espace aérien japonais n’est pas non plus le premier avion militaire venu. Il s’agit d’une version moderne et très spécifique de l’avion de transport militaire Shaanxi Y-9.

Avion espion sophistiqué

Ces transporteurs militaires “sont en de nombreux points comparables aux C-130 américains très répandus à travers le monde. Comme l’appareil américain, cette plate-forme est déclinée en une famille d’appareils spécialisés, notamment dans la détection avancée, dans la guerre électronique ou dans l’analyse de signaux électromagnétiques”, explique Alexandre Vautravers, spécialiste des questions d'armement et rédacteur en chef de la Revue militaire suisse.

En l'occurrence, le modèle repéré par les radars japonais est un Y-9DZ, qui représente “une version très récente et sophistiquée, équipée de tous les capteurs, caméras et radars nécessaires pour la collecte des données en territoires étrangers, que ce soit pour suivre des mouvements de troupes ou faire des relevés topographiques”, détaille Carlotta Rinaudo, spécialiste de la Chine pour l’International Team for the Study of Security (ITSS) Verona.

Cet avion ne transporte donc pas d’armements, mais il est capable de pointer le bout de son cockpit directement au-dessus du territoire japonais pour y faire de la surveillance venue du ciel.

Mais à quoi bon le faire voler au-dessus du territoire souverain japonais pour deux petites minutes ? N’aurait-il pas pu collecter les mêmes informations en restant sagement du bon côté de la frontière aérienne ? “La question de la durée de l'incursion importe peu car ces avions spécialisés repassent à différents moments à différents endroits, et la comparaison des images radar et des signaux électromagnétiques permet de se renseigner sur l’activité et parfois sur les procédures de défense aérienne”, note Alexandre Vautravers.

Et de toute façon, si cette incursion est bel et bien intentionnelle - l’hypothèse d’une erreur de navigation n’est pas totalement exclue, d’après Lewis Eves - la collecte de données ne serait probablement que la cerise sur le gâteau. “Il s’agit surtout d’une démonstration de force”, estime ce spécialiste.

Exercices militaires conjoints des États-Unis, du Japon et de la Corée du Sud

Dans cette hypothèse, l’armée populaire chinoise “voulait probablement riposter à quelque chose”, suggère Lewis Eves. “Certains observateurs estiment que c’est en réponse à un incident survenu en juillet au large de la province chinoise de Zhejiang [au sud de Shanghai, NDLR]”, écrit le quotidien Japan Times.

Un destroyer japonais était alors entré dans les eaux territoriales chinoises malgré les avertissements répétés des autorités chinoises. Le Japon a beau eu plaider une “erreur de navigation”, la Chine s’était dite convaincue qu’il s’agissait plutôt d’une “provocation intentionnelle”.

Mais pour Carlotta Rinaudo, ce n’est probablement pas qu’une histoire sino-japonaise. “Une importante pièce du puzzle à prendre en compte pour comprendre ce qui se passe, c’est qu’il y a eu fin juin, pour la première fois, des exercices militaires maritimes conjoints entre les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud. Une opération sans précédent qui n’avait pas du tout plu à Pékin”, souligne Carlotta Rinaudo.

Ce renforcement du lien militaire entre ces trois puissances, perçu comme un axe anti-Chinois par Pékin, avait suscité une vive inquiétude dans les médias officiels chinois. “La Chine doit montrer qu’elle est prête à répondre”, avait ainsi conclu un article du Global Times, un quotidien anglophone dépendant du People’s Daily, le très officiel organe de presse du Parti communiste chinois.

“Ces trois pays ont pour la première fois fait des exercices communs, et en réponse la Chine décide pour la première fois de pénétrer l’espace aérien japonais avec un avion militaire de surveillance”, résume Carlotta Rinaudo.

À cet égard, ce n’est pas un hasard si l’avion Y-9DZ a effectué son incursion au niveau de l’archipel de Danjo. Ces îles n’ont, à priori, aucun intérêt stratégique : elles sont inhabitées et sont surtout connues comme un haut lieu du surf. Mais l’archipel est surtout “situé juste au sud de la base navale de Sasebo où se trouve à la fois des navires militaires japonais et nord-américain”, souligne Carlotta Rinaudo.

Pour les experts interrogés par France 24, l’incident dans l’espace aérien japonais “n’est pas en soit très important car il s’agit d’un seul avion resté seulement deux minutes”, estime Lewis Eves. Mais dans le contexte des tensions actuelles, il illustre parfaitement “le dilemme sécuritaire dans lequel est enfermé toute la région”, affirme Carlotta Rinaudo.

Le Japon a commencé à se réarmer “face à ce qu’il estime être une menace nord-coréenne toujours plus pressante”, note cette experte. La Chine voit d’un très mauvais œil son voisin emprunter ce chemin et hausse le ton, ce qui amène les États-Unis et la Corée du Sud à renforcer leur lien militaire. “À chaque fois les tensions montent d’un cran”, conclut Carlotta Rinaudo. Jusqu’à la fameuse étincelle ? L’incursion de l’avion militaire chinois aurait ainsi pu, d’après Lewis Eves, entraîner une dangereuse escalade. “Qu’est-ce qui se serait passé, par exemple, si les chasseurs japonais étaient arrivés sur place avant que l’avion chinois fasse demi-tour ?”, s’interroge-t-il.

Avec France 24

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